214. A VOLTAIRE.

Le 26 mars 1743.167-a

J'ai bien cru que vous seriez content de ma sœur de Brunswic. Elle a reçu cet heureux don du ciel, ce feu d'esprit, cette vivacité par où elle vous ressemble, et dont malheureusement la nature est trop chiche envers la plupart des humains :

De cette flamme tant vantée
Que l'audacieux Prométhée
Du ciel pour vous sembla ravir,
Mais dont sa main trop limitée
Ne put assez bien se munir
Pour que la cohue effrontée
Des humains en pût obtenir.

C'est là cependant leur folie;
Chacun d'eux prétend au génie;
Même le sot croit en avoir,
Et du matin jusques au soir
Prend pour esprit l'étourderie.
La bégueule, avec son miroir,
Le met dans sa minauderie;

<168>

Le gros savant, qui fait valoir
L'assommant poids de son savoir.
Se chatouille, et se glorifie
Que le ciel l'ait voulu pourvoir
Du sens dont sa tête est bouffie.

Il n'est pas jusqu'au Mirepoix
Qui n'ait l'audace d'y prétendre;
Pour s'en désabuser, je crois
Qu'il doit suffire de l'entendre.

Je ne sais trop où vous êtes à présent; mais je suis toutefois persuadé que vous oublierez plutôt Berlin que vous n'y serez oublié. C'est de quoi vous assure votre admirateur.

P. S.

Mon souvenir chez vous s'efface,
S'il faut qu'un maudit barbouilleur
Tant bien que mal vous le retrace;
Je ne veux point, sur mon honneur,
Briller chez vous en d'autre place
Que dans le fond de votre cœur.


167-a L'édition de Kehl a mal daté cette lettre, car on voit que c'est la réponse à une lettre, perdue aujourd'hui, que Voltaire doit avoir écrite au Roi sur son séjour à Brunswic, où il arriva le 14 octobre 1743.