263. DE VOLTAIRE.
Paris, 9 juin 1760.
Votre très-vieille Danaé
Va quitter son petit ménage
Pour le beau séjour étoile
Dont elle est indigne à son âge.
L'or par Jupiter envoyé
N'est pas l'objet de son envie;
Elle aime d'un cœur dévoué
Son Jupiter, et non sa pluie.
Mais c'est en vain que l'on inédit
De ces gouttes très-salutaires;
Au siècle de fer où l'on vit,
Les gouttes d'or sont nécessaires.
On peut du fond de son taudis,
Sans argent, l'âme timorée,
Entouré de cierges bénits,
Aller tout droit en paradis,
Mais non pas dans votre Empyrée.
Je ne pourrai pourtant, Sire, être dans votre ciel que vers les premiers jours de juillet. Je ferai, soyez-en sûr, tout ce que je pourrai pour arriver à la fin de juin. Mais la vieille Danaé est trop avisée pour promettre légèrement; et, quoiqu'elle ait l'âme très-vive et très-impatiente, les années lui ont appris à modérer ses ardeurs. Je viens d'écrire à M. de Raesfeld284-a que je serai, au plus tard, dans les premiers jours de juillet, dans vos États de Clèves, et je le prie de songer au Vorspann. Je vous lais, Sire, la même requête. Faites de belles revues dans vos royaumes du Nord; imposez à l'empire des Russes; soyez l'arbitre de la paix, et revenez présider à votre Parnasse. Vous êtes l'homme de tous les temps, de tous les lieux, de tous les talents. Recevez-moi au rang de vos adorateurs; je n'ai de mérite que d'être le plus ancien. Le titre de doyen de ce chapitre ne peut m'être contesté. Je prendrai la liberté de dire de V. M. ce que La Fontaine, à mon âge, disait des femmes : « Je ne leur fais pas grand plaisir, mais elles m'en font toujours beaucoup. »
Je me mets aux pieds de V. M.
Ah! que mon destin sera doux
Dans votre céleste demeure!
Que d'Arnaud vive à vos genoux,
Et que votre Voltaire y meure!
284-a Président de la régence de Clèves depuis 1742. Voyez ci-dessus, p. 36.