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329. MADAME DENIS A FRÉDÉRIC.354-a

Francfort-sur-le-Main, 11 juin 1753.



Sire,

Je n'aurais jamais osé prendre la liberté d'écrire à Votre Majesté sans la situation cruelle où je suis. Mais à qui puis-je avoir recours, sinon à un monarque qui met sa gloire à être juste et à ne point faire de malheureux?

J'arrive ici pour conduire mon oncle aux eaux de Plombières. Je le trouve mourant, et, pour comble de maux, il est arrêté, par les ordres de V. M., dans une auberge, sans pouvoir respirer l'air. Daignez avoir compassion, Sire, de son âge, de son danger, de mes larmes, de celles de sa famille et de ses amis. Nous nous jetons tous à vos pieds pour vous en supplier.

Mon oncle a sans doute eu des torts bien grands, puisque V. M., à laquelle il a toujours été attaché avec tant d'enthousiasme, le traite avec tant de dureté. Mais, Sire, daignez vous souvenir de quinze ans de bontés dont vous l'avez honoré, et qui l'ont enfin arraché des bras de sa famille, à qui il a toujours servi de père.

V. M. lui redemande votre livre imprimé de poésies, dont elle l'avait gratifié. Sire, il est assurément prêt de le rendre, il me l'a juré. Il ne l'emportait qu'avec votre permission; il le fait revenir avec ses papiers dans une caisse à l'adresse de votre ministre; il a demandé lui-même qu'on visite tout, qu'on prenne tout ce qui peut concerner V. M. Tant de bonne foi la désarmera sans doute. Vos lettres sont des bienfaits; notre famille rendra tout ce que nous trouverons à Paris.

V. M. m'a fait redemander par son ministre le contrat d'engage<355>ment. Je lui jure que nous le rendrons dès qu'il sera retrouvé. Mon oncle croit qu'il est à Paris; peut-être est-il dans la caisse de Hambourg. Mais, pour satisfaire V. M. plus promptement, mon oncle vient de dicter un écrit (car il n'est pas en état d'écrire) que nous avons signé tous deux; il vient d'être envoyé à mylord Marischal, qui doit en rendre compte à V. M. Sire, ayez pitié de mon état et de ma douleur. Je n'ai de consolation que dans vos promesses sacrées, et dans ces paroles si dignes de vous : Je serais au désespoir d'être cause du malheur de mon ennemi; comment pourrais-je l'être du malheur de mon ami?355-a Ces mots, Sire, tracés de votre main, qui a écrit tant de belles choses, font ma plus chère espérance. Rendez à mon oncle une vie qu'il vous avait dévouée et dont vous rendez la fin si infortunée, et soutenez la mienne; je la passerai comme lui à vous bénir.

Je suis avec un très-profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante servante,
Denis.


354-a Cette lettre est tirée du Berliner Kalender fûr 1846, Berlin, Reimarus, p. 37 et 38. Elle fait partie de l'ouvrage de Varnhagen d'Ense, Voltaire in Frankfurt am Main 1753.

355-a Cette phrase se trouve presque textuellement dans la lettre de Frédéric à Voltaire, du 23 août 1750. Voyez ci-dessus, p. 290.