<132> parce que j'ai fort l'honneur de vous connaître. Mais ce qui m'étonne, je vous l'avoue, c'est que vos vers soient bons; je ne m'y attendais pas après tant d'années d'interruption. Des pensées fortes et vigoureuses, un coup d'œil juste sur les faiblesses des hommes, des idées profondes et vraies, c'est là votre partage dans tous les temps; mais pour du nombre et de l'harmonie, et très-souvent même des finesses de langage, à trois cents lieues de Paris, dans la Marche de Brandebourg, ce phénomène doit être assurément remarqué par notre Académie de Paris.
Savez-vous bien, Sire, que V. M. est devenue un auteur qu'on épluche?
Notre doyen, mon gros abbé d'Olivet, vient, dans une nouvelle édition de la Prosodie française, de vous critiquer sur le mot crêpe, dont vous avez retranché impitoyablement le dernier e dans une lettre à moi adressée, et imprimée dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci;a mais je ne crois pas que cette édition ait été faite sous vos yeux. Quoi qu'il en soit, vous voilà devenu un auteur classique, examiné comme Racine par notre doyen, cité devant notre tribunal des mots, et condamné sans appel à faire crêpe de deux syllabes.
Je me joins au doyen, et je vais intenter au Philosophe de Sans-Souci une accusation toute contraire. Vous avez donné deux syllabes au mot hait dans votre beau discours du Stoïcien.
Votre goût offensé haït l'absinthe amère.Nous ne vous passerons pas cela. Le verbe haïr n'aura jamais deux syllabes à l'indicatif, je hais, tu hais, il hait; vous auriez beau nous battre encore,
a Au donjon du château, avec privilége d'Apollon, MDCCL, tome III, p. 223, Épître XI, A Voltaire (du 20 février 1700) :
La nuit, compagne du repos,
De son crèp couvrant la lumière, etc.