<135>Alcide de l'Allemagne, soyez-en le Nestor; vivez trois âges d'homme pour écraser la tête de l'hydre.
397. A VOLTAIRE.
Berlin, 16 janvier 1767.
J'ai lu toutes les pièces que vous m'avez envoyées. Je trouve le Triumvirat rempli de beaux détails. Les pièces contre l'infâme sont si fortes, que, depuis Celse, on n'a rien publié de plus frappant. L'ouvrage de Boulangera est supérieur à l'autre, et plus à la portée des gens du monde, pour qui de longues déductions fatiguent l'esprit, relâché et détendu par les frivolités qui l'énervent continuellement.b
Il ne reste plus de refuge au fantôme de l'erreur. Il a été flagellé et frappé sur toutes ses faces, sur tous ses côtés. Partout je vois ses blessures, et nulle part d'empiriques empressés à pallier son mal. Il est temps de prononcer son oraison funèbre et de l'enterrer. Vous défaites le charme, et l'illusion se dissipe en fumée. Je crains bien qu'il n'en soit pas ainsi des troubles intestins de Genève. J'augure, selon les nouvelles publiques, que nous touchons au dénoûment, qui causera ou une révolution dans le gouvernement, ou quelque tragédie sanglante.
Quoi qu'il en arrive, les malheureux trouveront un asile ouvert où ils le souhaitent. C'est à eux à déterminer le moment où ils voudront en profiter.
a Quelques ouvrages philosophiques de Voltaire furent publiés d'abord sous les pseudonymes de Boulanger, Fréret, Bolingbroke, Bazin, Chérisac, etc.
b Ces trois derniers mots sont tirés des Œuvres posthumes, t. X, p. 46.