<182>Un ouvrage de leur boutique m'est tombé entre les mains; il m'a paru si téméraire, que je n'ai pu m'empêcher de faire quelques remarques sur le Système de la nature, que l'auteur arrange à sa façon. Je vous communique ces remarques;a et si je me suis rencontré avec votre façon de penser, je m'en applaudirai. J'y joins une élégie sur la mort d'une dame d'honneur de ma sœur Amélie,b dont la perte lui fut très-sensible. Je sais que j'envoie ces balivernes au plus grand poëte du siècle, qui le dispute à tout ce que l'antiquité a produit de plus parfait; mais vous vous souviendrez qu'il était d'usage, dans les temps reculés, que les poëtes portassent leurs tributs au temple d'Apollon. Il y avait même, du temps d'Auguste, une bibliothèque consacrée à ce dieu, où les Virgile, les Ovide, les Horace, lisaient publiquement leurs écrits. Dans ce siècle où Ferney s'élève sur les ruines de Delphes, il est bien juste que l'on y envoie ses offrandes; il ne manque au génie qui occupe ces lieux que l'immortalité.
Vous en jouirez bien par vos divins écrits;
Ils sont faits pour plaire à tout âge,
Ils savent éclairer le sage,
Et répandre des fleurs sur les Jeux et les Ris.
Quel illustre destin, quel sort pour un poëme,
D'aller toujours de pair avec l'éternité!
Ah! qu'à cette félicité
Votre corps ait sa part de même!
Ce sont des vœux auxquels tous les hommes de lettres doivent se joindre; ils doivent vous considérer comme une colonne qui soutient seule par sa force un bâtiment prêt à s'écrouler, et dont des barbares sapent déjà les fondements. Un essaim de géomètres mirmidons persécute déjà les belles-lettres, en leur prescrivant des lois pour les dégrader. Que n'arrivera-t-il pas lorsqu'elles manqueront de leur
a Voyez t. IX, p. 177-194.
b Voyez t. XIII, p. 37-42.