343. AU MÊME.a
Rammenau, 28 septembre 1758.
Je suis fort obligé au solitaire des Délices de la part qu'il prend aux aventures du Don Quichotte du Nord. Ce Don Quichotte mène la vie des comédiens de campagne, jouant tantôt sur un théâtre, tantôt sur un autre, quelquefois sifflé, quelquefois applaudi. La dernière pièce qu'il a jouéeb était la Thébaïde;c à peine y resta-t-il le moucheur de chandelles. Je ne sais ce qui arrivera de tout ceci; mais je crois, avec nos bons épicuriens, que ceux qui se tiennent sur l'amphithéâtre sont plus heureux que ceux qui se tiennent sur les tréteaux. Quoique je sois par voie et par chemin, j'entends à bâtons rompus parler de ce qui se passe dans la république des lettres; et cette bavarde à cent bouches ne dit point ce que vous faites. J'aurais envie de crier à vos oreilles : Tu dors, Brutus!d Voici trois ans écoulés qu'il ne paraît point de nouvelles éditions de vos ouvrages; que faites-vous donc? Au cas que vous ayez fait quelque chose de nouveau, je vous prie de me l'envoyer. D'ailleurs, je vous souhaite toute la tranquillité et tout le repos dont je ne jouis pas. Adieu.
a Cette lettre est tirée de l'édition de Bâle, t. II, p. 266 et 267.
b La bataille de Zorndorf.
c La Thébaïde, ou les Frères ennemis, tragédie de Racine, dans laquelle périssent tous les personnages principaux, Jocaste, Etéocle, Polynice, Hémon, Antigone, Créon.
d Plutarque, Vie de César, chap. LXII.