443. DE VOLTAIRE.
Ferney, 18 octobre 1771.
Sire, vous êtes donc comme l'Océan, dont les flots semblent arrêtés sur le rivage par des grains de sable; et le vainqueur de Rossbach, de Lissa, etc., etc., ne peut parler en maître à des prêtres suisses. Jugez, après cela, si les pauvres princes catholiques doivent avoir beau jeu contre le pape.
Je ne sais si V. M. a jamais vu une petite brochure intitulée : Les droits des hommes et les usurpations des papes;a ces usurpations sont celles du saint-père : elles sont évidemment constatées. Si vous voulez, j'aurai l'honneur de vous les envoyer par la poste.
J'ai pris la liberté d'adresser à V. M. les sixième et septième volumes des Questions sur l'Encyclopédie; mais je crains fort de n'avoir pas la liberté de poursuivre cet ouvrage. C'est bien là le cas où l'on peut appeler la liberté puissance. Qui n'a pas le pouvoir de faire n'a pas, sans doute, la liberté de faire; il n'a que la liberté de dire : Je suis esclave de la nature. J'avais fait autrefois tout ce que je pouvais pour croire que nous étions libres; mais j'ai bien peur d'être détrompé; vouloir ce qu'on veut, parce qu'on le veut, me paraît une prérogative royale à laquelle les chétifs mortels ne doivent pas prétendre. Soyez libre tant qu'il vous plaira, Sire, vous êtes bien le maître; mais à moi tant d'honneur n'appartient. Tout ce que je sais bien certainement, c'est que je n'ai point la liberté de ne vous pas regarder comme le premier homme du siècle, ainsi que je regarde Catherine II comme la première femme, et Mustapha comme un pauvre homme, du moins jusqu'à présent. Il me semble qu'il n'a su faire ni la guerre, ni la paix.
a Cet écrit est de 1768, et se trouve dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLIV, p. 318-347.