445. DE VOLTAIRE.
Ferney, 6 décembre 1771.
Sire, je n'ai jamais si bien compris qu'on peut pleurer et rire dans le même jour. J'étais tout plein et tout attendri de l'horrible attentat commis contre le roi de Pologne,a qui m'honore de quelque bonté. Ces mots qui dureront à jamais, Vous êtes pourtant mon roi, mais j'ai fait serment de vous tuer,b m'arrachaient des larmes d'horreur, lorsque j'ai reçu votre lettre et votre très-philosophique poëme, qui dit si plaisamment les choses du monde les plus vraies. Je me suis mis à rire malgré moi, malgré mon effroi et ma consternation. Que vous peignez bien le diable et les prêtres, et surtout cet évêque, premier auteur de tout le mal!
Je vois bien que, quand vous fîtes ces deux premiers chants, le crime infâme des confédérés n'avait point encore été commis. Vous serez forcé d'être aussi tragique dans le dernier chant que vous avez été gai dans les autres, que V. M. a bien voulu m'envoyer. Malheur est bon à quelque chose, puisque la goutte vous a fait composer un ouvrage si agréable; depuis Scarron, on ne faisait point de vers si plaisants au milieu des souffrances. Le roi de la Chine ne sera jamais si drôle que V. M., et je défie Mustapha d'en approcher.
N'ayez plus la goutte, mais faites souvent des vers à Sans-Souci dans ce goût-là. Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez; c'est ce que je souhaite passionnément pour vous, pour mon héroïne, et pour moi chétif.
Je pense que l'assassinat du roi de Pologne lui fera beaucoup de bien. Il est impossible que les confédérés, devenus en horreur au genre humain, persistent dans une faction si criminelle. Je ne sais
a Stanislas-Auguste, le 3 novembre.
b Voyez Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXII, p. 264.