Sa voix célébrerait ton amitié fidèle,
Les échos de Berlin répondraient à ses chants;
Ah! j'impose silence à mes tristes accents,
Il n'appartient qu'à lui de te rendre immortelle.
Voilà, Sire, ce que ma douleur me dicta quelque temps après le premier saisissement dont je fus accablé à la mort de ma protectrice. J'envoie ces vers à V. M., puisqu'elle l'ordonne. Je suis vieux; elle s'en apercevra bien. Mais le cœur, qui sera toujours à vous et à l'adorable sœur que vous pleurez, ne vieillira jamais. Je n'ai pu m'empêcher de me souvenir, dans ces faibles vers, des efforts que cette digne princesse avait faits pour rendre la paix à l'Europe. Toutes ses lettres (vous le savez sans doute) avaient passé par moi. Le ministrea qui pensait absolument comme elle, et qui ne put lui répondre que par une lettre qu'on lui dicta, en est mort de chagrin. Je vois avec douleur, dans ma vieillesse accablée d'infirmités, tout ce qui se passe; et je me console parce que j'espère que vous serez aussi heureux que vous méritez de l'être. Le médecin Tronchin dit que votre colique hémorroïdale n'est point dangereuse; mais il craint que tant de travaux n'altèrent votre sang. Cet homme est sûrement le plus grand médecin de l'Europe, le seul qui connaisse la nature. Il m'avait assuré qu'il y avait du remède pour l'état de votre auguste sœur, six mois avant sa mort. Je fis ce que je pus pour engager Son Altesse Royale à se mettre entre les mains de Tronchin; elle se confia à des ignorants entêtés, et Tronchin m'annonça sa mort deux mois avant le moment fatal. Je n'ai jamais senti un désespoir plus vif. Elle est morte victime de sa confiance en ceux qui l'ont traitée. Conservez-vous, Sire, car vous êtes nécessaire aux hommes.
a Le cardinal de Tencin, que l'abbé de Bernis obligea de signer une lettre qu'il lui envoya pour rompre toute négociation. (Note de l'édition de Kehl.)