<251> automne. Heureux qui peut ainsi réunir l'imagination et la raison! Cela est bien supérieur à l'acquisition de quelques provinces dont on n'aperçoit pas l'existence sur le globe,a et qui, des sphères célestes, paraîtraient à peine comparables à un grain de sable.

Voilà les misères dont nous autres politiques nous nous occupons si fort. J'en ai honte. Ce qui doit m'excuser, c'est que, lorsqu'on entre dans un corps, il faut en prendre l'esprit. J'ai connu un jésuite qui m'assurait gravement qu'il s'exposerait au plus cruel martyre, ne pût-il convertir qu'un singe. Je n'en ferais pas autant; mais quand on peut réunir et joindre des domaines entrecoupés, pour faire un tout de ses possessions, je ne connais guère de mortels qui n'y travaillassent avec plaisir. Notez toutefois que cette affaire-ci s'est passée sans effusion de sang, et que les encyclopédistes ne pourront déclamer contre les brigands mercenaires,b et employer tant d'autres belles phrases dont l'éloquence ne m'a jamais touché. Un peu d'encre, à l'aide d'une plume, a tout fait; et l'Europe sera pacifiée, au moins des derniers troubles. Quant à l'avenir, je ne réponds de rien. En parcourant l'histoire, je vois qu'il ne s'écoule guère dix ans sans qu'il n'y ait quelques guerres. Cette fièvre intermittentec peut être suspendue, mais jamais guérie. Il faut en chercher la raison dans l'inquiétude naturelle à l'homme. Si l'un n'excite des troubles, c'est l'autre; et une étincelle cause souvent un embrasement général.

Voilà bien du raisonnement; je vous donne de la marchandise de mon pays. Vous autres Français, vous possédez l'imagination; les Anglais, à ce que l'on dit, la profondeur; et nous autres, la lenteur, avec ce gros bon sens qui court les rues. Que votre imagination reçoive ce bavardage avec indulgence, et qu'elle permette à ma pesante raison d'admirer le phénix de la France, le seigneur de Ferney, et de


a Sur le globe général. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 170.)

b Voyez ci-dessus, p. 176 et 222.

c Ci-dessus, p. 206, Frédéric appelle la guerre « cette fièvre intermittente des rois. »