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Non, je ne veux plus à Paris
Avoir de courtier littéraire;
Je n'y vois plus ces beaux esprits
Dont nombre d'immortels écrits,
En m'instruisant, savaient me plaire.
Je ne veux de correspondants
Que sur les confins de la Suisse,
Province qui jadis était très-fort novice
En arts, en esprit, en talents,
Mais qui contient des bons vieux temps
Le seul auteur qui me ravisse
Par l'art harmonieux de modeler ses chants.a

Les Grecs, vos favoris, cherchèrent en Asie
La science et la vérité;
Platon jusqu'en Égypte avait même tenté
D'éclairer sa philosophie.
Désormais nos cantons, de ses charmes épris,
Sans chercher pour l'esprit des aliments dans l'Inde,
Trouvent le dieu du goût comme le dieu du Pinde
Tous deux à Ferney réunis.b

Vous aurez peut-être encore le plaisir de voir les Musulmans chassés de l'Europe; la paix vient de manquer pour la seconde fois. De nouvelles combinaisons donnent lieu à de nouvelles conjonctures. Vos Velches sont bien tracassiers. Pour moi, disciple des encyclopédistes, je prêche la paix universelle en bon apôtre de feu l'abbé de Saint-Pierre;c et peut-être ne réussirai-je pas mieux que lui. Je vois qu'il est plus facile aux hommes de faire le mal que le bien, et que l'enchaînement fatal des causes nous entraîne malgré nous, et se joue de nos projets, comme un vent impétueux d'un sable mouvant.

Cela n'empêche pas que le train des choses ordinaires ne continue.


a Ce vers se trouve dans les Œuvres posthumes, t. VII, p. 62, mais il manque dans l'édition de Kehl, t. LXVT, p. 82, et dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LXVIII, p. 158.

b Ces vingt vers ont déjà été imprimés, avec quelques légères variantes, dans notre t. XIII, p. 109.

c Voyez t. XVII, p. 200, et t. XXII, p. 100.