480. DE VOLTAIRE.
(Ferney) décembre 1773.
Sire, me voilà bien loin de mon compte : tous les gens de lettres m'avaient fait compliment sur la manière assez neuve dont j'avais fait l'éloge des héros en les donnant au diable; on trouvait que ce tour n'était pas sans quelque finesse. Rousseau avait dit :a
Mais à la place de Socrate,
Le fameux vainqueur de l'Euphrate
Sera le dernier des mortels.
Cette idée paraissait aussi fausse que grossière à tous les connaisseurs; en effet, il y a une extravagance plus que cynique à dire au capitaine-général de la Grèce, au vainqueur du maître de l'Asie, au vengeur de l'assassinat de Darius, au héros qui bâtit plus de villes que Gengis-Kan n'en détruisit, à celui qui changea la route du commerce du monde : Tu es le dernier des mortels. Mais de plaindre les hommes qui souffrent du fléau de la guerre, et d'admirer en même temps les maîtres de ce grand art, cruel, mais nécessaire, et de louer les Cyrus, les Alexandre, les Gustave, etc., en feignant de se fâcher contre eux, c'est ce qui a plu à tout le monde, excepté à la dame dont j'ai eu l'honneur de vous parler.
Si j'avais eu un congé à demander à Alexandre pour quelque officier grec condamné par l'aréopage, je l'aurais demandé en lui envoyant la Tactique.
L'ancien parlement de Paris était beaucoup plus injuste que l'aréopage, et vous valez bien cet Alexandre à qui Juvénal et Boileau ont dit tant d'injures.
Je me mets à vos pieds, Sire, pour ce jeune Morival. V. M. ajou-
a Ode à la Fortune, strophe 10.