<326> Europe, et que si vous pouviez vous en rapporter au témoignage de votre impératrice de Russie, comme à celui de l'Impératrice-Reine, elles attesteraient toutes deux que sans moi il y aurait eu un embrasement général en Europe, et même deux. J'ai fait l'office de capucin, j'ai éteint les flammes.
En voilà assez pour les affaires de Pologne; je pourrais plaider cette cause devant tous les tribunaux de la terre, assuré de la gagner. Cependant je garde le silence sur des événements si récents, dont il y aurait de l'indiscrétion à parler.
Votre lettre m'est parvenue à mon retour de la Silésie, où j'ai vu le comte Hoditz, auparavant si gai, à présent triste et mélancolique. Il ne peut pardonner à la nature les infirmités qui l'incommodent, et qui sont une suite de l'âge. Je lui ai adressé cette Épître,a sur laquelle vous jetterez un coup d'œil, si vous le voulez. Elle ne vaut pas celle de Ninon; mais je soupçonne fort que le rabot de Voltaire a passé sur cette dernière. J'ai vu beaucoup de Russes, mais aucun qui s'expliquât aussi bien, ou qui eût ce tour de gaîté dont cette Épître est animée.
Vous vous contentez, dites-vous, qu'on ne vous haïsse point; et je ne saurais m'empêcher de vous aimer, malgré vos petites infidélités. Après votre mort, personne ne vous remplacera; c'en sera fait en France de la belle littérature. Ma dernière passion sera celle des lettres; je vois avec douleur leur dépérissement, soit faute de génie, ou corruption de goût qui paraît gagner le dessus. Dans quelques siècles d'ici on traduira les bons auteurs du temps de Louis XIV, comme on traduit ceux du temps de Périclès et d'Auguste. Je me trouve heureux d'être venu au monde dans un temps où j'ai pu jouir des derniers auteurs qui ont rendu ce beau siècle si fameux. Ceux qui viendront après nous naîtront avec moins d'enthousiasme pour les chefs-d'œuvre de l'esprit humain, parce que le temps de l'effer-
a Voyez t. XIII, p. 139-143, et ci-dessus, p. 222.