502. DE VOLTAIRE.
(Ferney) 2 janvier 1775.
Sire, je mets aux pieds de Votre Majesté, pour ses étrennes, un plan de citadelle inventé et dessiné par d'Étallonde Morival, qui n'avait jamais su dessiner lorsqu'il vint chez moi; ses progrès tiennent du prodige, et par conséquent ses talents ne doivent être employés que pour votre service; il a appris ce qu'il faut précisément de mathématiques pour être utile. Tout le reste est une charlatanerie ridicule, admirée des ignorants; la quadrature d'une courbe n'est bonne à rien; et l'idée d'aller mal mesurer un degré du méridien, pour savoir si le pôle est allongé de quatre ou cinq lieues, est une idée si romanesque, que toutes les mesures ont été différentes dans tous les pays. Un bon ingénieur vaut mieux que tous ces calculateurs de fadaises difficiles. Je suis près de ma fin, et je vous dis la vérité. Hélas! vous savez trop bien, et l'Europe le sait, ce que c'était qu'un géomètre chimérique et calomniateur. Je mourrai le cœur percé du mal qu'il m'a fait en m'éloignant de vous.
Souffrez au moins que je meure consolé par les bontés que vous avez et que vous aurez pour d'Étallonde Morival; c'est un gentilhomme plein d'honneur et de sagesse, qui n'a point rougi d'être soldat pendant trois ans, qui a été fait officier par V. M., qui est votre ouvrage, qui vous consacre sa vie. Il parle allemand comme s'il était né dans vos États; il est assidu, discret, appliqué; il écrit très-bien et vite; il pourrait vous servir de secrétaire, s'il vous en fallait un; permettez qu'il travaille dans ma maison à se rendre digne de vous servir, jusqu'à ce que son affaire se décide, soit que je vive, soit que je meure. Il écrit très-bien, il a des lettres, il est bon à tout; ni moi, ni M. d'Alembert, ni aucun de mes amis, ne voulons de grâce pour ce brave gentilhomme : une grâce est trop honteuse. Daignez, Sire,