514. DE VOLTAIRE.
Ferney, 28 mars 1775.
Sire, toutes les fois que j'écris à Votre Majesté sur des affaires un peu sérieuses, je tremble comme nos régiments à Rossbach. Mais votre bonté et votre magnanimité me rassurent.
Je vous supplie de daigner lire dans un de vos moments de loisir, si vous en avez, le mémoire de d'Étallonde;a il est entièrement fondé sur les pièces originales qu'on nous cachait, et qui nous sont enfin parvenues. Vous verrez dans cette affaire, pire que celle des Calas et des Sirven, à quel point les Velches sont quelquefois frivoles et atroces; vous y verrez à la fois l'imbécillité du Pierrot de la foire, et la barbarie de la Saint-Barthélemy. Ce n'est pas que la bonne compagnie de Paris ne soit infiniment estimable; mais souvent ceux qu'on appelle magistrats sont l'opposé de la bonne compagnie.
J'ose croire que la lecture de ce mémoire vous fera frémir d'horreur. Nous avons résolu d'envoyer ce mémoire non seulement aux avocats de Paris, mais à tous les jurisconsultes de l'Europe. Notre dessein est de nous en tenir à leur décision. D'Étallonde, ayant pris, avec votre permission, le titre de votre aide de camp et de votre ingénieur, ne doit ni demander grâce à un garde des sceaux, ni s'avilir jusqu'à se mettre en prison pour faire casser son arrêt.
Si vous daignez seulement nous faire avoir l'avis de votre chancelier, ou celui d'un de vos premiers juges, cette décision, jointe à celles que nous espérons avoir à Naples, à Milan et à Londres, sera assez authentique pour ne faire retomber l'opprobre de l'horrible jugement contre d'Étallonde et le chevalier de La Barre que sur les assassins qui les ont condamnés. C'est une nouvelle manière de demander justice; mais si V. M. l'approuve, je la crois très-bonne et
a Le Cri du sang innocent. Voyez ci-dessus, p. 349.