529. A VOLTAIRE.
Potsdam, 8 septembre 1775.
Je vous suis très-obligé du plaisir que vous m'avez fait en mon voyage de Silésie. Il faut avouer que vous êtes de bonne compagnie, et qu'on s'instruit en s'amusant avec vous. Voltaire et moi, nous avons fait tout le tour de la Silésie, et nous sommes revenus ensemble.
Quant à Le Kain :
Dans ces beaux vers qu'il nous déclame.
Avec plaisir je reconnais
La force, la noblesse et l'âme
De l'auteur de ces grands portraits.
Il sait, par d'invincibles charmes,
Me communiquer ses alarmes;
Il émeut, il perce le cœur
Par la pitié, par la terreur;
Et mes yeux se fondent en larmes.
Ah! malheur au cœur inhumain
Que rien n'ébranle et rien ne touche!
Le mortel ou vain, ou farouche,
Ne voit nos maux qu'avec dédain.
Est-on fait pour être impassible?
J'existe par le sentiment,
Et j'aime à sentir vivement
Que mon cœur est encor sensible.
Voilà, dans l'exacte vérité, le plaisir que m'ont lait les représentations de vos tragédies. Le Kain a sans doute aidé dans le récit et dans l'action; mais quand même un moins bon acteur les eût représentées, le fond l'aurait emporté sur la déclamation. Je pourrais servir de souffleur à vos pièces; il y en a beaucoup que je sais par cœur. Si je ne fais pas autrement fortune en ce monde, ce métier sera ma dernière ressource. Il est bon d'avoir plus d'une corde à son arc.