532. AU MÊME.a
Le 24 octobre 1775.
Ces jours passés, le hasard m'a fait tomber entre les mains une critique de la Henriade dont La Beaumelle et Fréron sont les auteurs.b J'ai eu la patience de parcourir leurs remarques, qui respirent plutôt l'amour de nuire que celui de la justice et de l'impartialité. Je croyais que ces Zoïles avaient épuisé tout leur venin dans ces notes; mais quelle fut ma surprise lorsque je trouvai des moitiés de chants de leur composition, qu'ils prétendaient insérer dans ce poëme! Ces vers, d'un style sec et décharné, ne méritent pas d'être lus par les honnêtes gens. Moi qui suis bien loin de posséder les connaissances des d'Olivet, je me trouve en état d'en faire une bonne critique, tant leur versification est détestable. La bêtise, la basse jalousie et la méchanceté de ces insectes du Parnasse me firent imaginer la fable que voici :
Un beau jour, certain âne, en paissant dans les bois,
Entendit préluder la tendre Philomèle,
Qui célébrait l'amour dans la saison nouvelle.
Admirateur jaloux des charmes de sa voix,
L'âne ose imaginer de l'emporter sur elle;
Sa voix rauque aussitôt se prépare à chanter
(Tout, jusqu'à l'âne même, incline à se flatter);
Mais comment réussit son désir téméraire?
Tout s'envola d'abord, quand il se mit à braire.
Petits auteurs, apprenez tous
A demeurer dans votre sphère,
Ou l'on se moquera de vous.
a Œuvres posthumes, t. IX, p. 299-301.
b Commentaire sur la Henriade, par feu M. de La Beaumelle, revu et corrigé par M. F....., 1775.