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540. A VOLTAIRE.

Potsdam, 13 février 1776.

La fable du rat et de l'aigle vaut bien celle de l'âne et du rossignol. L'aigle troquerait volontiers avec le rat, si par ce troc il pouvait s'approprier les rares talents du dernier. Mais il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Corinthe,a de même que n'est pas Protée qui veut.

Dans la Fable, jadis dans la Grèce inventée,
Nous admirons surtout le grand art de Protée,
Qui, toujours à propos sachant se transformer,
A tous les cas divers pouvait se conformer;
Mais, bien plus merveilleux encor que cette fable,
Voltaire la rendit de nos jours véritable.

En effet, il n'y a point de mutation dont vous ne soyez susceptible; et pour vous rendre entièrement universel, il ne nous manque de vous qu'un ouvrage sur la tactique. Je l'attends incessamment, comme devant éclore de votre universalité.

J'ai lu la brochure que vous m'avez envoyée, et j'espère bien que vous voudrez y joindre la continuation, qui contiendra sans doute des découvertes et des combinaisons curieuses.

Je viens d'essuyer encore un violent accès de goutte qui me met bien bas. Il faut que la belle saison vienne à mon secours pour me rendre mes forces. En attendant, le marquis de Ferney, intendant du pays de Gex,b soulagera les peuples du fardeau des impôts; il réglera les corvées, et donnera l'échantillon de ce qui pourra servir à


a Voyez t. XX, p. 310, et t. XXI, p. 205 et 377.

b Frédéric écrit à d'Alembert, le 30 décembre 1770 : « On dit que Voltaire est devenu marquis, et en même temps intendant du pays de Gex. » D'Alembert répond, le 23 février 1776 : « Il est faux que Voltaire soit devenu marquis et intendant du pays de Gex, comme on l'a dit à V. M. »