<430>Nous avons appris également ici le déplacement de quelques ministres français. Je ne m'en étonne point. Je me représente Louis XVI comme une jeune brebis entourée de vieux loups; il sera bien heureux s'il leur échappe. Un homme qui a toute la routine du gouvernement trouverait de la besogne en France; épié, séduit par des détours fallacieux, on lui ferait faire des faux pas; il est donc tout simple qu'un jeune monarque sans expérience se soit laissé entraîner par le torrent des intrigues et des cabales. Mais je ne croirai jamais que la patrie de Voltaire redevienne, de nos jours, l'asile ou le dernier retranchement de la superstition. Il y a trop de connaissances et trop d'esprit en France pour que la barbarie superstitieuse du clergé puisse commettre désormais des atrocités dont les temps passés fourmillent d'exemples. Si Hercule a dompté le lion de Némée, un fort athlète, nommé Voltaire, a écrasé sous ses pieds l'hydre du fanatisme.
La raison se développe journellement dans notre Europe; les pays les plus stupides en ressentent les secousses. Je n'en excepte que la Pologne. Les autres États rougissent des bêtises où l'erreur a entraîné leurs pères; l'Autriche, la Westphalie, tous, jusqu'à la Bavière, tâchent d'attirer sur eux quelques rayons de lumière. C'est vous, ce sont vos ouvrages qui ont produit cette révolution dans les esprits. L'hélépolea de la bonne plaisanterie a ruiné les remparts de la superstition, que la bonne dialectique de Bayle n'a pu abattre.
Jouissez de votre triomphe; que votre raison domine longues années sur les esprits que vous avez éclairés, et que le Patriarche de Ferney, le coryphée de la vérité, n'oublie pas le vieux solitaire de Sans-Souci. Vale.
a Voyez t. XV, p. 27.