<432> malade, cela m'a inquiété. Ensuite, après avoir supputé le temps, j'ai conclu que vous étiez entièrement remis. Nous avons de mauvaises gazettes à Berlin, comme vous en avez à Ferney; elles assurent que notre vieux patriarche s'était fait moine de Cluny.a En tout cas, vous ne garderez pas longtemps votre abbé. Mais je m'intéresse peu à ce dernier, et beaucoup au sort du prétendu moine.
Me voici de retour de la Silésie, où j'ai fait l'économe, comme vous à Ferney. J'ai bâti des villages, défriché des marais, établi des manufactures, et rebâti quelques villes brûlées. Il s'est présenté à Breslau un M. de Ferrière, ingénieur du Cabinet; il prétend vous connaître; il sait sans doute que cela vaut une recommandation auprès de moi. Il a été employé en Alsace, il a servi en Corse; actuellement il est à la suite de M. de Breteuil,b à Vienne. Vous l'aurez vu, et peut-être oublié, car, parmi ce peuple innombrable qui se présente à votre cour, des passe-volants doivent vous échapper. Des imbéciles faisaient autrefois des pèlerinages à Jérusalem ou à Lorette; à présent, quiconque se croit de l'esprit va à Ferney, pour dire, en revenant chez soi : Je l'ai vu.
Jouissez longtemps de votre gloire, marquis de Ferney, moine de Cluny, ou intendant du pays de Gex, sous quel titre il vous plaira; mais n'oubliez pas qu'au fond de l'Allemagne il est un vieillard qui vous a possédé autrefois, et qui vous regrettera toujours. Vale.
a On racontait que, lors de la nomination de M. de Clugny à la place de contrôleur général, Voltaire, jouant sur le mot, avait dit : Je me fais moine de Cluny. (Note de M. Beuchot, édition des Œuvres de Voltaire, t. LXX, p. 121.)
b Il est cavalier à la suite de M. de Breteuil. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 329.)