549. AU MÊME.
(Sans-Souci) 22 octobre 1776.
Voici près de deux mois qu'aucune goutte de rosée du ciel de Ferney n'est tombée sur le rivage de la Baltique; les soi-disant Muses et les habitants de notre Parnasse sablonneux dessèchent à vue d'œil, et ils seraient déjà diaphanes, si certain commentaire sur je ne sais quelle Biblea ne leur était tombé entre les mains. C'est à cet ouvrage qu'ils doivent l'existence et la vie. Tout le monde a ri, parce que par Nazareth il fallait entendre l'Égypte, et par l'Égypte, Nazareth. Cet éclat de rire s'est porté par l'écho depuis le Mansfeld jusqu'à Memel; il a dissipé les humeurs noires, et rapporté la joie dans nos contrées.
Que le ciel bénisse le plaisant commentateur de ce profond ouvrage! Je le crois aussi habile à expliquer les traités entre les nations que les visions hébraïques; et peut-être que si les Français et les Anglais se fussent servis de lui pour régler leurs anciens démêlés sur le Canada, il les aurait accordés. On se serait épargné la dernière guerre; ce qui n'eût pas été une bagatelle.
Voici des versb qu'un rêve-creux avait fabriqués ici avant l'arrivée du divin commentaire; ceux qu'il fera à présent seront plus gais. Il se propose de démontrer que quatre-vingts ans et vingt sont la même chose, et cela, par l'exemple de personnes qui ne vieillissent point, et dont l'hiver des ans ressemble au printemps de leur jeunesse.
Vos Velches se préparent à faire la guerre sur mer à je ne sais qui; ils ont acheté beaucoup de bois dans mes chantiers, dont Dieu les bénisse! Voilà comme la chaîne des événements lie ensemble différents objets. Il fallait que les Portugais fissent les impertinents dans
a La Bible enfin expliquée par plusieurs aumôniers de Sa Majesté le roi de P.; Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLIX.
b Épître à d'Alembert. Voyez t. XIV, p. 112-115.