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565. AU MÊME.

Potsdam, 18 novembre 1777.

J'attends votre ouvrage instructif sur les abus de la législation, et avec impatience, persuadé que j'y trouverai l'utile et l'agréable. Il paraît que l'Europe est à présent en train de s'éclairer sur tous les objets qui influent le plus au bien de l'humanité; et il faut vous rendre le témoignage que vous avez plus contribué qu'aucun de vos contemporains à l'éclairer au flambeau de la philosophie. Pour vos Velches, sur lesquels vous glosez, je croirais que, en les prenant en masse, ils sont à peu près semblables aux autres habitants de ce globe; ils ont peut-être quelque chose de trop impétueux dans leur vivacité, qui dégénère même en férocité. D'ailleurs, l'homme est une espèce assez méchante, à laquelle il faut partout des principes réprimants, ou sa méchanceté foncière renverserait toutes les bornes de l'honnêteté, et même de la bienséance. Souvenez-vous que si vos Français vont de l'échafaud au spectacle, Cicéron, Atticus, Varron, Catulle, assistaient au spectacle barbare des combats de gladiateurs, et qu'ensuite ils allaient entendre les tragédies d'Ennius et les comédies de Térence. L'habitude gouverne les hommes; la curiosité les attire à l'exécution d'un coupable, et l'ennui les promène à l'Opéra, faute de pouvoir autrement tuer le temps.

Il y a des fainéants dans toutes les grandes villes, et peu de gens qui aient acquis assez de connaissances pour se former le goût. Quelques personnes, qui passent pour habiles, décident du sort des pièces; et des ignorants, incapables de juger par eux-mêmes, répètent ce que les autres ont dit. Ces jugements ne se bornent pas aux pièces de théâtre; ils se font remarquer universellement, et constituent ce qu'on appelle la réputation des hommes. Et voilà les solides appuis sur lesquels est fondée la renommée! Vanité des vanités!