362. A VOLTAIRE.a
Reich-Hennersdorf, 10 juin 1759.
Apprenez que, à moins que celui que vous savez ne revienne sur terre faire des miracles, mon frère n'ira chercher personne. Il est encore, Dieu merci, assez grand seigneur pour faire venir et payer des médecins suisses; et vous savez que les frédérics, en plus grande quantité que les louis, l'emportent sur eux chez les médecins, chez les poëtes, et quelquefois même chez les philosophes qui, occupés de vaines spéculations, ne font guère réflexion sur la partie morale de leur science. Votre nièce a fait éclater le faste de son zèle en faveur de sa nation; elle m'a brûlé comme je vous ai fait brûler à Berlin,b et comme vous l'avez été en France. Vos Français extravaguent tous, quand il est question de la prééminence de leur royaume; ils sont charmés de vous lâcher un le Roi mon maître, d'affecter les travers de vieux ambassadeurs hors de mode, et de prendre fait et cause pour des rois qui ne leur font pas l'honneur de daigner les connaître. En vérité, c'est dommage que votre nièce n'ait pas épousé M. Prior; cela aurait fait une belle race de politiques. Pour moi, je ne ménage aucun de ceux qui me font enrager, je les mords le mieux que je puis. Nous allons nous battre, selon toute apparence, en peu de jours, et, pour peu que la fortune me seconde, les subdélégués de Leurs Majestés Impériales, et l'homme à la toque bénite, seront bien étrillés; après cela, quelle consolation de se moquer d'eux! Pour vous, qui ne vous battrez point, pour Dieu! ne vous moquez de personne; soyez tranquille et heureux, puisque vous n'avez point de persécuteurs, et sachez jouir sans inquiétude d'une tranquillité que
a Cette lettre est tirée de l'édition de Bâle, t. II, p. 300 et 301.
b Voyez t. XIV, p. 196.