504. DE VOLTAIRE.
(Ferney) janvier 1775.
Sire, je reçois dans ce moment le buste de ce vieillard en porcelaine. Je m'écrie, en voyant l'inscription,344-a dont je suis si indigne :
Les rois de France et d'Angleterre
Peuvent de rubans bleus parer leurs courtisans;
Mais il est un roi sur la terre
Qui fait de plus nobles présents.
Je dis à ce héros, dont la main souveraine
Me donne l'immortalité :
Vous m'accordez, grand homme, avec trop de bonté,
Des terres dans votre domaine,345-a
A propos d'immortalité, on vient de faire une magnifique édition de la Vie d'un de vos admirateurs,345-b qui a marché dans une partie de cette carrière de la gloire que vous avez parcourue dans tous les sens. Il y a un volume tout entier de plans de batailles, de campements et de marches, et de toutes les actions où il s'était trouvé dès l'âge de douze ans. Les cartes sont très-fidèles et très-bien dessinées; quoique, en qualité de poltron, je déteste cordialement la guerre, cependant j'avoue à V. M. que je désirerais avec passion que V. M. permît de dessiner vos batailles; j'ose vous dire que personne n'y serait plus propre que d'Étallonde Morival. C'est une chose étonnante que la célérité, la précision et la bonté de ses dessins. Il semble qu'il ait été vingt ans ingénieur.
Puisque j'ai commencé, Sire, à vous parler de lui, je continuerai à prendre cette liberté; mon cœur est pénétré des bontés dont vous l'honorez; le moment approche où il espère s'en servir. Mais aussi le congé que V. M. lui accorde va expirer au mois de mars. Il abandonnera sans doute toutes ses espérances pour voler à son devoir; c'est son dessein. Je vous implore pour lui et malgré lui. Accordez-nous encore six mois. Je n'ose renouveler ma prière de l'honorer du titre de votre ingénieur et de lieutenant ou de capitaine; tout ce que je sais, c'est qu'une victime des prêtres peut être immolée, et qu'un homme à vous sera respecté. Vous ne vous bornez pas à donner l'immortalité, vous donnez des sauve-gardes dans cette vie. Je<346> passerai le reste de la mienne à remercier, à relire Marc-Aurèle-Julien Frédéric, héros de la guerre et de la philosophie.
Le vieux malade de Ferney.
344-a Immortali. (Note de M. Beuchot.)
345-a Voyez ci-dessus, p. 252.
345-b Histoire de Maurice comte de Saxe, par M. le baron d'Espagnac, trois volumes in-4. (La première édition est de 1773, deux volumes in-12.) Voyez t. XVII, p. IV-VI, et p. 333-345.