70. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 26 septembre 1766.
Sire,
Il est des moments où je me reproche la hardiesse que j'ai de dérober à V. M. un temps consacré aux plus importantes occupations. Cette idée m'arrête quelquefois tout court; mais le plaisir de vous entretenir, Sire, l'emporte à la fin sur la crainte de vous ennuyer. La lettre que V. M. m'a écrite le mois passé, comme toutes celles que je reçois de sa part, a fait naître dans mon cœur les sentiments de l'admiration et de la reconnaissance. Votre esprit, Sire, produit l'une, je dois la vivacité de l'autre à vos éloges; c'est votre bien que vous prodiguez pour soutenir mon indigence. Que de héros, que de gens de lettres, que de grands hommes en tout genre vous pouvez enrichir de votre superflu!
J'ai esquissé l'Empereur à V. M., tel qu'il s'est montré à mes yeux. Je me flatte, pour le bien de l'humanité, que mon crayon ait bien rendu son âme; enfin je l'ai peint tel que je désire qu'il soit toujours. J'aurais été bien aise que V. M. eût vu ce prince; aucun grand prêtre n'eût été plus propre que vous, Sire, à lever le voile qui couvre son intérieur, et votre jugement aurait été la pierre de touche du mien. Je conviens qu'il est difficile de déchiffrer les jeunes princes. L'exemple que V. M. allègue de Charles XII le prouve; l'histoire en fournit d'autres, pas moins frappants. On confond souvent dans ces astres la lumière empruntée de leurs satellites; ils ne brillent pas comme vous, Sire, par leur propre éclat.
Jusqu'ici aucune de mes domestiques n'est curieuse de tâter du purgatoire; si la fantaisie en devait venir à ma grande maîtresse, qui est assez mûre, je demanderais à V. M. un passe-port; mais ne le signez pas pendant vos revues, sans quoi le bruit des armes effaroucherait son âme.