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86. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Le 7 août 1767.



Madame ma sœur,

Souffrez, madame, que je me félicite de ce que je ne passe plus pour un Attila, pour un Genseric à vos yeux; il m'aurait été dur de vous laisser dans un préjugé si contraire à la vérité, si contraire à votre estime, que je voudrais pouvoir mériter. V. A. R. me dit que je lui ai fait peur quelquefois; je ne soupçonnais en vérité pas que je fusse si terrible; mais soit. J'ose toutefois croire qu'il y a eu des occasions où j'ai pu lui faire plaisir; oui, madame, du vivant de l'Empereur votre père, je présume que vous n'étiez point fâchée que, dans la patrie des anciens Suèves, un jeune fou guerroyât la maison de Habsbourg.a Tout a changé depuis; votre mariage, madame, vous a fait passer dans une autre famille, vous avez adopté de nouveaux intérêts, et vous vous êtes accommodée à ce que ces circonstances exigeaient de vous. Nous n'envisageons les objets que du point où nous sommes placés; des peintres feront une infinité de dessins de la même figure, tous relatifs au point de vue dont ils l'envisagent : l'un la dessine en face, l'autre de biais, un autre en profil, un autre par derrière; c'est la même figure qu'ils dessinent, mais prise par différents côtés. C'est ainsi que nous faisons aboutir à nous, comme au centre commun, tous les événements qui arrivent dans le monde, et que nous en portons notre jugement relativement à ce qu'ils peuvent nous être contraires ou avantageux. Montaigne disait que toute chose avait deux anses, la bonne et la mauvaise, et qu'il ne s'agissait que du choix.b Vous pensez, madame, que Montaigne n'est qu'un sot au bout de ma plume, et que je ferais bien de ne point citer. Je vous obéis, très-


a Voyez t. II, p. 104 et suivantes, et t. III, p. 30 et suivantes.

b Voyez t. XX, p. 31.