<165>lement de démons pour se persécuter et pour se rendre la vie amère. Voilà les Génevois qui auraient été heureux, et qui le seraient encore, si un esprit de vertige ne suscitait des factions entre eux; il semble qu'ils ne pouvaient pas supporter le bonheur dont ils jouissaient, et ils s'entre-déchirent pour s'en priver. Ce serait encore une grande question à résoudre pour des philosophes, à quel point l'homme est susceptible de bonheur, et combien son inquiétude lui permet de le conserver. Mais, madame, V. A. R. a résolu ce problème; vous rendez la Saxe heureuse, et vous vous appliquez à l'y maintenir; et moi, bavard radoteur, je vous fais perdre par ma longue lettre un temps précieux que V. A. R. sait si utilement employer. Je connais, madame, votre indulgence et votre support; peut-être que j'en abuse; mais j'obtiendrai mon pardon en faveur du plaisir infini qu'il y a de s'éclairer à votre lumière, et en faveur des sentiments d'admiration et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
95. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 7 mars 1768.
Sire,
Votre Majesté me fait tort; je n'ai rien de commun avec les stoïciens, et leur sage n'est pas l'archétype de mon héros. Ce n'est point aux maîtres de la terre d'adopter une philosophie qui fait de l'insensibilité le principe des vertus; c'est encore moins à mon sexe de le prêcher. Quoi! je proposerais à V. M. de renoncer au sentiment, de renvoyer son Opéra et son Académie de belles-lettres! Celui de tous les rois qui sait le mieux allier les vertus sublimes du trône avec les ta-