12. AU MÊME.
(Camp de Dittmannsdorf) ce 26 (juillet 1762).
Voici encore des vers pour votre belle,a capables de soutenir votre réputation poétique; comme ils se trouvent à peu près de la même trempe que les premiers, on les trouvera aussi bons que les autres. Nous allons commencer un siége, ou, pour mieux dire, nous ne savons ce que nous faisons. Nous sommes dans un chaos d'événements, de contradictions, d'embarras et d'incertitudes; et nous avons l'effronterie d'affecter un maintien comme si de rien n'était. Je suis excédé du fichu rôle que je joue, et je donne mes affaires, la guerre et mon existence au diable cent fois par jour. Ce n'est pas suivre littéralement les préceptes de Marc-Aurèle, mais le fond du cœur. L'homme se soulève et se révolte quelquefois contre la fortune qui le persécute, comme il arrive aux forçats de se débattre dans leurs chaînes sans pouvoir s'en délivrer. Voici les vers; ils sont cependant doux et tendres, et comme il convient à un amant de les faire.
Nul miracle à l'amour ne paraît impossible;
En subjuguant les dieux, il est seul invincible.
Que d'exemples nombreux j'en pourrais étaler!
Hercule, dont le cœur fait pour se signaler
N'était qu'à la gloire accessible,
Amolli pour Omphale, amant tendre et sensible,
A ses pieds apprit à filer.
Le souverain des dieux, dont la foudre terrible
De l'Olympe aux enfers les faisait tous trembler,
Sitôt qu'il se sentit brûler
D'amour et de désirs pour la charmante Europe,
Il déguisa le dieu sous la folle enveloppe
Des animaux qu'a fait parler
La Fable, en empruntant l'esprit qu'avait Ésope.
a Voyez t. XIV, p. 144 et 145.