18. AU MÊME.
Bains de Landeck, 22 août 1765.
Je vous écris de l'eau, mon cher, où je vis plus que sur terre. Je commence à devenir poisson ou canard, je ne sais moi-même lequel des deux. Il ne faudrait qu'un Ovide pour célébrer ma métamorphose. Que nos bons Berlinois sont bêtes! Ils me disent enflé, m'écrit-on. Que sera-ce quand ils me verront chargé d'écailles, et orné de nageoires? Sans doute ils me prendront pour le poisson orné. Qu'importe? Je me porte mieux, mes jambes reprennent insensiblement leur élasticité,a et les on dit ne font de mal à personne. Il me reste huit heures de bains, que j'expédierai en deux jours, et je crois être de retour à Berlin le 14 ou le 15 du mois prochain. Cela s'appelle au moins expédier la besogne. Mais notre bon marquis me paraît inconcevable.b Ne pourrait-il pas m'écrire sur un chiffon, selon sa noble coutume, pour dire où il est, et la raison qui le retarde? S'il lambine encore, je prouverai, par conjecture, qu'il est enfermé dans un cul de basse-fosse, ou qu'il est gisant, et que nous ne le reverrons qu'à la vallée de Josaphat. Quel homme! quel homme!
J'ai vu ici tous les originaux de la contrée, entre autres un vieux comte dont la physionomie et l'accoutrement bizarre m'ont pensé faire éclater de rire à la simple inspection oculaire. Il s'est mis à parler, et il n'y a plus eu moyen de se tenir. Mes neveuxc se sont surtout signalés par de grands éclats. Mais nous avons trouvé des prétextes, tant bons que mauvais, pour justifier notre gaîté, et notre bon compagnon, entraîné par la gaîté des jeunes gens, s'est mis à rire le
a Voyez t. XIX, p. 447, et t. XX, p. 159.
b Voyez, dans la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens, t. XIX, p. 448, la lettre du marquis, d'Avignon, 10 septembre 1765.
c Le prince Henri de Prusse (t. VII, p. 43), et les princes Frédéric et Guillaume de Brunswic (t. VI, p. 251, et t. XIII, p. 6 et 137).