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158. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

22 mars 1772.



Madame ma sœur,

Je me hâte de répondre à Votre Altesse Royale, pour que ma lettre ait le bonheur de lui être rendue avant son départ. Quoique le voyage que V. A. R. va entreprendre l'éloigne prodigieusement de ces lieux, je participe à la satisfaction qu'elle aura de se trouver au sein d'une famille qui l'adore, de respirer l'air natal de la patrie, cet air qui semble le plus agréable quand on ne l'a humé de longtemps, et d'aller de là visiter un pays d'où le peuple-roi dominait sur les nations. C'est un spectacle digne des yeux éclairés de V. A. R. que les vestiges mêmes de la grandeur passée des Romains; elle verra ce Capitole où triomphaient les vainqueurs du monde; elle verra ces lieux des anciens rostres où ce Cicéron haranguait, qu'elle était si digne d'entendre et de juger de ses discours; elle verra ces ruines des lieux de spectacles où la somptuosité romaine assemblait jusqu'à soixante mille spectateurs; les théâtres où les Roscius et les Ésope jouaient devant les Caton, les Pompée et les César; les lieux où Virgile récitait son Énéide, où Horace chantait ses odes; enfin le siége du plus grand empire connu dans l'univers, illustré par la vertu et le courage de tant de dames romaines qui concoururent, comme les patriciens, au maintien de l'État, enfin où tout conspira pour élever cette nation au-dessus de toutes celles du monde connu. Et quel spectacle plus intéressant de considérer que, après la ruine même de ce vaste empire, la sagacité romaine sut regagner par la politique et par l'opinion des hommes (qu'elle trouva moyen de gouverner) ce qu'elle avait perdu par l'épée des barbares qui les subjuguèrent! Je crains que V. A. R. ne trouve cette dernière réflexion un peu hérétique; mais, madame, les fruits se ressentent toujours du terroir qui les porte, et