159. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Venise, 6 juin 1772.
Sire,
On se gâte assez souvent en voyageant, et peut-être Votre Majesté trouvera-t-elle que mes courses m'ont rendue un peu négligente. J'aurais tort, sans doute, si j'avais différé si longtemps de répondre à votre charmante lettre, Sire; mais apparemment elle a fait à ma suite le tour de l'Italie, car elle ne m'est parvenue qu'à mon arrivée ici, et j'ose assurer V. M. que, de tous les torts, celui d'être négligente vis-à-vis d'elle serait celui que je me pardonnerais le moins, et dont je ne serais que trop punie par la plus sensible des privations, celle de vos lettres; et si jamais je tombe dans de pareilles fautes, ce ne sera que parce qu'il n'est donné qu'à vous seul, Sire, de trouver du temps pour tout, même au milieu des courses et des distractions. Depuis que j'ai quittéa Dresde, j'ai toujours été par voie et par chemin. Je voulais voir le plus riant point de la pompe et de l'appareil, comme j'avais vu celui de la gloire il y a deux ans; et, pressée d'arriver à Rome pour la semaine sainte, je n'ai pu m'arrêter que peu de jours à Munich. Je comptais d'aller de là aussi vite qu'Arioste faisait voyager son Astolphe monté sur l'hippogriffe; mais, ne pouvant comme lui planer dans les airs, j'ai éprouvé tous les désagréments des routes gâtées et des gîtes mal pourvus. Me voici à Venise, après avoir parcouru une partie de l'État ecclésiastique, du Napolitain jusqu'au Vésuve, et de la Lombardie. J'ai vu Rome, et, chemin faisant, tout ce que j'avais lu, et que Frédéric a lu et entendu mieux que moi. On ne m'a pas laissée manquer d'académie, ni chômer de mauvaise musique (telle que l'opéra qui m'écorche tous les jours les oreilles, et
a Le mot quitté manque dans le manuscrit.