162. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
5 septembre 1772.
Madame ma sœur,
La lettre de Votre Altesse Royale m'a été rendue à mon retour de Silésie, et je profite de mes premiers moments de loisir pour vous assurer, madame, que je suis bien de l'opinion de V. A. R., qu'il n'y a rien de préférable à la patrie. L'homme est un animal sur lequel l'habitude a un grand pouvoir, et dont les premières impressions que les objets ont faites sur ses sens ne s'effacent jamais. Tout ce qui réveille en nous les premiers coups de burin imprimés dans nos jeunes cerveaux nous flatte agréablement en nous rappelant des idées douces d'un âge où nous ne connaissions ni le mal physique, ni le mal moral; à cela se joint le plaisir de se retrouver dans le sein de sa famille, et de retrouver des premières connaissances que nous avons faites; de sorte qu'on tient à la patrie par plus d'une racine. Il faut bien que ce sentiment soit universel; car je me souviens que la reine de Suède m'envoya, il y a une vingtaine d'années, des rennifères conduits par des Lapons. Je crus, madame, que ma patrie policée devait faire impression sur les Lapons, et qu'ils la préféreraient sans hésiter à la vie errante qu'ils mènent au fond du Nord, dans le climat le plus rigoureux, et sous un ciel chargé de frimas. Mais mon étonnement fut extrême lorsqu'ils me dirent que la plus grande grâce que je pourrais leur faire était de les renvoyer au plus vite dans leur patrie. Je crois donc que si des sauvages aiment leurs tanières natales, il est à plus forte raison très-naturel que tout être raisonnable aime ses foyers domestiques et sa patrie, où règnent les lois, la justice, les agréments de la vie, et où se trouvent ses parents, auxquels les liens du sang l'attachent indissolublement.
Mais, madame, je me trouve dans un singulier contraste avec