181. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Munich, 17 juillet 1774.
Sire,
Votre Majesté dira que je suis comme toutes les femmes. Des courses, des fêtes, des parties de plaisir leur font tout oublier; le malheur seul les ramène à leurs devoirs. Ce n'est pas mon cas néanmoins; j'ai assez vécu pour savoir tout apprécier, et mes devoirs envers ce mortel sublime qui veut bien descendre jusqu'à moi ne sont pas de nature à jamais s'effacer de mon souvenir. Mais si je m'étais livrée avec trop d'empressement au charme de revoir mes anciens amis et ma patrie; si ce sentiment ne m'avait pas laissé assez de calme pour suivre cette correspondance admirable, pour laquelle je ne prends jamais la plume qu'en tremblant, parce que je crains toujours de ne pas la mériter; si j'ai tort en effet, V. M. est assez vengée : je suis sur mon grabat depuis quinze jours. Je voyais monter des chevaux au manége de mon frère, lorsqu'une malheureuse barrière se brisa, tomba sur moi, me renversa sur le visage, et ne me rompit que la jambe, tandis qu'elle eût dû m'assommer. Une jambe cassée est cependant un mal dans la patrie comme ailleurs, et puisque jamais malheur ne vient seul, un peu de goutte se joignit au mien. A l'heure qu'il est, je me trouve soulagée, et les chirurgiens, à ce qu'ils prétendent, sont fort contents de moi; je leur en fais mon compliment. Pour moi, il faut bien que je m'en contente. Peut-être est-il écrit dans le livre du destin que j'essayerai de tout dans la vie; en ce cas je conviendrai qu'on eût pu mieux écrire, mais je ne m'en soumettrai pas moins. Si, dès ma jeunesse, j'ai souvent goûté toute l'amertume du calice de la vie, j'ai été abreuvée aussi souvent de toutes ses douceurs. Pour une fois que je me suis dit : Tout ici bas n'est pas grand' chose, je me