201. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 3 mai 1777.
Sire,
Je ne puis assez admirer la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire. C'est le fond le plus riche, renfermé en deux pages. Un érudit en eût fait un gros livre qu'il aurait nommé fastueusement, non sans parallèle des anciens et des modernes.a Je me serais fait violence pour le lire, et, après tous mes efforts, je n'en aurais pas plus appris que V. M. m'en dit dans deux mots. Mais aussi n'y a-t-il dans l'univers que vous, Sire, auquel il appartienne de voir et de juger ainsi. Roi, guerrier, philosophe, homme de lettres, qui jamais, comme vous, a réuni tant de qualités sublimes et en apparence si peu analogues? C'est dans tout le maître consommé qui prononce; et à qui s'en rapporterait-on, si ce n'est à vous? Oui, Sire, j'en reviens toujours au sentiment que V. M. établit si bien. Toutes les nations (aux Lapons près) sont faites pour être éclairées successivement. J'ai ouï parler d'un savant qui prétend que toute science nous est venue du Nord, et que l'Orient, regardé jusqu'ici comme le précepteur commun du genre humain, n'est qu'un petit écolier du Septentrion. Deux mille ans plus tard, cet homme aura raison, car qui jamais pourra lire les merveilles de votre règne, sans se persuader qu'il fut la source de la portion de lumières dont le monde jouira alors? Craintive comme je le suis, et pour moi, et pour les objets de mon admiration, l'endroit de votre lettre qui m'a fait le plus de plaisir est celui où V. M. me rassure sur le repos de l'Europe. Qu'on se batte sur mer tant qu'on voudra; je n'y vais point, les vaisseaux de guerre ne remontent pas l'Elbe, et jusqu'ici V. M. n'a point été curieuse de
a Comme l'Électrice omet souvent des mots dans ses lettres, nous présumons qu'il faut lire ici : « ... non sans raison : Parallèle des anciens et des modernes. »