203. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 24 juin 1777.
Sire,
J'ai reçu la dernière lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire, comme je les reçois toutes; toujours plus extasiée de celle qui vient de m'arriver, m'imaginant d'abord que, pour le coup, c'est la plus belle de vos lettres, quand après je cours relire les précédentes, je ne sais plus à laquelle donner la préférence. J'y retrouve constamment Frédéric. Dans le monde entier il n'y a que lui qui eût pu écrire ainsi. Né pour commander aux hommes en vertu de tous les titres dont l'autorité peut s'appuyer, vous avez bien voulu, Sire, descendre aux soins d'instruire le genre humain, et lui servir de modèle en toute espèce de connaissances. Les rois et les peuples sont devenus vos disciples; mais, quel que soit leur nombre, j'ose dire que V. M. n'a point de disciple plus docile ni plus reconnaissant que moi. Elle vient de m'enseigner en une demi-page ce que les sciences des hommes ont été, d'où elles leur viennent, et ce qu'elles sont aujourd'hui. On y reconnaît toujours des aveugles qui disputent à qui verra plus clair, et qui se frappent de bâtons destinés à les soutenir. Vient ensuite un qui règne quelque temps entre eux, qu'ils admirent d'abord parce qu'il se trompe un peu moins qu'eux, et que bientôt ils détestent par la même raison. De loin à loin un aigle, sorti du milieu de la foule, plane sur leurs têtes, et ose fixer le soleil. De ces aigles, Sire, j'en connais un qui s'est élancé au-dessus de tous les autres. Il était bien délicat lorsque votre bisaïeul commença à l'élever. A quelle prodigieuse hauteur V. M. ne l'a-t-elle pas fait monter! Je n'entreprends point de le suivre dans son vol; mais permettez, Sire, que je me pare un peu de ses plumes. Votre lettre deviendra pour moi un petit code de philosophie historique, que je tâcherai