210. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Le 6 décembre 1777.
Madame ma sœur,
Si j'avais l'indiscrétion de montrer les lettres que je reçois et que je réponds à V. A. R., on croirait que je suis en correspondance avec un savant professeur de philosophie pour m'instruire et pour m'éclairer; et il se trouve que j'écris à une grande princesse qui fait le plus bel ornement d'une cour brillante. Il n'y a que Sapho et madame Dacier qui aient tant illustré leur sexe par leurs belles connaissances, jusqu'à ce qu'on parvienne à V. A. R.; mais quant aux grandes princesses, je crois qu'elle est la première qui ait honoré la région de la philosophie de ses lumières, et à laquelle on osât adresser des lettres pleines de réflexions sur le néant des vanités humaines. L'honneur en est d'autant plus grand pour V. A. R.; c'est le témoignage le plus sûr de la supériorité de son génie, qui sait passer d'un essor rapide du palais des Grâces et des Agréments à celui qu'Uranie et Minerve occupent.
S'il était permis, madame, de renforcer les raisons que j'osais exposer à V. A. R. sur la vicissitude des choses de ce bas monde et sur le peu de stabilité des œuvres humaines, j'aurais un vaste champ à parcourir. L'exemple du passé doit nous éclairer sur l'avenir, et à posteriori il n'y a qu'à entasser des millions d'années à la suite les unes des autres pour se convaincre que le temps, comme une éponge, efface le passé pour le remplacer par de nouveaux événements, qui ensuite, à leur tour, éprouvent la même destinée. Mais en voici bien d'une autre. Le fameux géomètre Eulera vient d'annoncer une comète qui doit paraître le 13 de ce mois, et dont un coup de queue nous enverra promener, avec notre monde, dans un autre tourbillon
a Voyez t. XX, p. XIV-XVI, et p. 219-235.