48. A D'ALEMBERT.
(Potsdam) 7 mai 1768.
Un dieu favorable aux philosophes a envoyé un esprit de vertige et de démence, au lieu du Saint-Esprit, au saint-père, qui lui inspire de puissantes erreurs et des entreprises extravagantes. On dit que, le bras levé, il va lancer ses foudres sur le Très-Chrétien, le Très-Catholique et le Très-Fidèle.a Vous l'allez voir adopter le Défenseur de la foi et le très-hérétique Philosophe de Sans-Souci, pour n'être pas isolé et dépourvu de cortége. La postérité sera surprise d'apprendre quels géants le pape a bien osé excommunier. Tout ce que mériterait le pape serait que ces sacrées Majestés lui jetassent des pommes au visage. Ce qu'il leur refuse ne mérite en vérité pas d'être recherché. Un bon gigot de mouton est plus succulent que toute chair virginalement divine. Je ne sais ce qui résultera de cette affaire. C'est à ce vieux danseur de corde, qui vous a fait rire, à voir comment il se tirera du pas dans lequel il s'est engagé.
Quoi qu'il en soit, cela sera sans contredit favorable à la philosophie. On verra, d'un côté, à quel comble d'extravagance mène le système des inspirations, et, d'un autre, à quelle sagesse mènent les raisonnements exacts et rigoureux de la philosophie; ici l'orgueil et l'ambition d'un prêtre qui veut fouler des couronnes à ses pieds, là une raison éclairée qui protége et défend le pouvoir légitime des souverains; d'une part les suites turbulentes d'une religion extravagante, de l'autre ceux qui la décrient, et qui s'élèvent contre des abus monstrueux. Enfin il n'y aura plus moyen de soutenir une thèse qui manifeste elle-même sa dangereuse absurdité. Cependant, direz-vous, on persécute Marmontel et les encyclopédistes. A cela je réponds qu'il y a partout des brigues, des cabales, des inimitiés personnelles,
a Voyez ci-dessus, p. 170.