<523> globe que nous habitons; c'est peine perdue d'entreprendre de l'éclairer, et souvent la commission est dangereuse pour ceux qui s'en chargent. Il faut se contenter d'être sage pour soi, si on peut l'être, et abandonner le vulgaire à l'erreur, en tâchant de le détourner des crimes qui dérangent l'ordre de la société. Fontenelle disait très-bien que s'il avait la main pleine de vérités, il ne l'ouvrirait pas pour les communiquer au public, parce qu'il n'en valait pas la peine; je pense à peu près de même, en faisant des vœux pour le philosophe Diagoras,a et priant Dieu de l'avoir en sa sainte garde.
68. DE D'ALEMBERT.
Paris, 29 janvier 1770.
Sire,
La lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire en date du 4 de ce mois, et le mémoire qui y était joint, ne me sont parvenus qu'avant-hier, 27 du même mois; je ne sais par quelle fatalité ce paquet a été si longtemps en route, et je ne prends la liberté d'entrer dans ce détail qu'afin que V. M. ne me soupçonne point de négligence. Je n'ai pas, en effet, perdu un moment pour lire cet excellent mémoire; et je puis, Sire, assurer avec vérité à V. M. que je suis absolument de son avis sur les principes qui doivent servir de base à la morale. Si V. M. veut prendre la peine de jeter les yeux sur mes Éléments de philosophie, t. IV de mes Mélanges, p. 72 et 92,b elle
a Voyez le Dictionnaire historique et critique de Bayle, article Diagoras, surnommé l'Athée.
b L'édition Bastien, t. XVII, p. 149, porte : « de jeter les yeux sur mes Éléments de philosophie, au chapitre de la Morale, t. II, p. 179 et suivantes. » Nous ne connaissons pas les sources où ces deux recueils ont pris leur texte; mais nous avons trouvé les passages cités par d'Alembert dans ses Mélanges de littérature, d'histoire et de philosophie. Nouvelle édition. A Amsterdam, 1773, t. IV, p. 79 et 92.