82. DU MÊME.
Paris, 12 août 1770.
Sire,
Je n'ai pas perdu un moment pour apprendre à M. de Voltairea l'honneur signalé que V. M. veut bien lui faire, et celui qu'elle fait en sa personne à la littérature et à la nation française. Je ne doute point qu'il ne témoigne à V. M. sa vive et éternelle reconnaissance. Mais comment, Sire, pourrais-je vous exprimer toute la mienne? comment pourrais-je vous dire à quel point je suis touché et pénétré de l'éloge si grand et si noble que V. M. fait de la philosophie et de ceux qui la cultivent? Je prends la liberté, Sire, et j'ose espérer que V. M. ne m'en désavouera pas, de faire part de sa lettre à tous ceux qui sont dignes de l'entendre, et je ne puis assez dire à V. M. avec quelle admiration et quelle vénération respectueuse ils voient tant de justice et de bonté unies à tant de gloire. Vous étiez, Sire, le chef et le modèle de ceux qui écrivent et qui pensent; vous êtes à présent (je rends à V. M. leurs propres expressions) leur dieu rémunérateur et vengeur; car les récompenses accordées au génie sont le supplice de ceux qui le persécutent. Je voudrais que la lettre de V. M. pût être gravée au bas de la statue; elle serait bien plus flatteuse que la statue même pour M. de Voltaire et pour les lettres. Quant à moi, Sire, à qui V. M. a la bonté de parler aussi de statue, je n'ai pas l'impertinente vanité de croire mériter jamais un pareil monument; je ne demande qu'une pierre sur ma tombe, avec ces mots : Le grand Frédéric l'honora de ses bienfaits et de ses bontés.
V. M. demande ce que nous désirons d'elle pour ce monument?b
a Voyez la lettre de d'Alembert à Voltaire, du 9 août 1770. Voyez aussi notre t. XXIII, p. 188.
b D'Alembert écrit à Voltaire, le 21 décembre : « Le roi de Prusse vient d'envoyer deux cents louis pour la statue; je l'apprends dans ce moment. » Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LXVI, p. 540.