<559>dant entièrement la détruire. L'organisation et les passions des hommes viennent des éléments dont ils sont composés. Or, lorsqu'ils obéissent à ces passions, ils sont esclaves, mais libres aussi souvent qu'ils leur résistent. Vous me pousserez plus loin, vous me direz : Mais ne voyez-vous pas que cette raison par laquelle ils résistent à leurs passions est assujettie à la nécessité qui la fait agir sur eux? Cela peut être à la rigueur. Mais qui opte entre sa raison et ses passions, et qui se décide, est, ce me semble, libre, ou je ne sais plus quelle idée on attache au mot liberté. Ce qui est nécessaire est absolu. Or, si l'homme est rigoureusement assujetti à la fatalité, les peines ni les récompenses n'ébranleront ni ne détruiront cet ascendant vainqueur. Or, comme l'expérience nous prouve le contraire, il faut convenir que l'homme jouit quelquefois de la liberté, quoique souvent limitée. Mais, mon cher Diagoras, si vous prétendez que je vous explique dans un plus grand détail ce qu'est cette intelligence que je marie à la matière, je vous prie de m'en dispenser. J'entrevois cette intelligence comme un objet que l'on aperçoit confusément à travers un brouillard; c'est beaucoup que de la deviner; il n'est pas donné à l'homme de la connaître et de la définir. Je suis comme Colomb, qui se doutait de l'existence d'un nouveau monde, et qui laissa à d'autres la gloire de le découvrir.
Après un aveu aussi sincère, vous ne direz pas que des préjugés d'enfance m'ont fait embrasser la défense de la religion chrétienne contre le philosophe fanatique qui la déchire avec tant d'animosité. Souffrez que je vous dise que nos religions d'aujourd'hui ressemblent aussi peu à celle du Christ qu'à celle des Iroquois. Jésus était juif, et nous brûlons les juifs; Jésus prêchait la patience, et nous persécutons; Jésus prêchait une bonne morale, et nous ne la pratiquons pas. Jésus n'a point établi de dogmes, et les conciles y ont bien pourvu; enfin un chrétien du troisième siècle n'est plus ressemblant à un chrétien du premier. Jésus était proprement un essénien; il était