135. AU MÊME.
Le 7 janvier 1774.
Vous pouvez être sans appréhension pour ma personne; je n'ai rien à craindre des jésuites. Le cordelier Ganganelli leur a rogné les griffes; il vient de leur arracher les dents mâchelières, et les a mis dans un état où ils ne peuvent ni égratigner, ni mordre, mais bien instruire la jeunesse, de quoi ils sont plus capables que toute la masse des cuculatis. Ces gens, il est vrai, ont tergiversé pendant la dernière guerre; mais réfléchissez à la nature de la clémence. On ne peut exercer cette admirable vertu à moins que d'avoir été offensé; et vous, philosophes, vous ne me reprocherez pas que je traite les hommes avec bonté, et que j'exerce l'humanité indifféremment envers tous ceux de mon espèce, de quelque religion et de quelque société qu'ils soient. Croyez-moi, pratiquons la philosophie, et métaphysiquons moins. Les bonnes actions sont plus avantageuses au public que les systèmes les plus subtils et les plus déliés de découvertes, dans lesquels, pour l'ordinaire, notre esprit s'égare sans saisir la vérité. Je ne suis pas cependant le seul qui ait conservé les jésuites; les Anglais et l'impératrice de Russie en ont fait tout autant; et même dans ces trois États l'ordrea fait corps ensemble.b Voilà pour les jésuites.c
a Au lieu de l'ordre, on lit Londres dans toutes les éditions, et même dans la traduction allemande des Œuvres posthumes, t. XI, p. 163 et 164; mais il est évident que c'est une erreur, répétée par inadvertance. Frédéric dit ci-dessus, p. 334 : « On m'écrit de Paris que les jésuites se reforment en corps. »
b Le 8 février 1776, Frédéric, cédant aux instances de M. de Strachwitz, évêque suffragant de Breslau, décida que les jésuites cesseraient d'exister comme corporation, et qu'ils déposeraient le costume de l'ordre, mais qu'ils continueraient à fonctionner comme instituteurs de la jeunesse dans les écoles catholiques. Voyez Schlesische Provinzial-Blätter. Breslau, 1836, t. CIII, p. 333 et suivantes.
c Voyez ci-dessus, p. 436.