39. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Le 11 mars 1765.
Madame ma sœur,
La lettre de Votre Altesse Royale m'a fait un sensible plaisir; mais comme je n'aime point à disputer, ni avec les vivants, ni avec les morts, V. A. R. trouvera bon que je laisse en paix les mânes de tous les Wackerbarth qu'il y a eu au monde, et que, ayant à lui répondre, je me livre au plaisir que je ressens d'avoir le bonheur de m'entretenir avec elle. Je souhaiterais, madame, que ce qu'il y a de mieux à Berlin vous eût fait la cour; il n'y a aucune femme qui n'eût trouvé beaucoup à apprendre à Dresde. Elles auraient vu que le sexe n'est pas borné à la frivolité, et qu'il est des princesses qui à la sagesse du gouvernement ont joint ces rares talents qui ornent l'esprit et l'embellissent, ces talents qui durent quand ceux de la beauté perdent leur éclat, et qui font les agréments et les délices de la société en tout âge. On tâche ici de les inspirer à la jeunesse; mais il y a bien loin du récit touchant d'un drame à l'esprit créateur qui le compose. Nos jeunes princesses déclament joliment; ma petite niècea a composé une comédie des Amants fidèles. Je lui ai dit que c'était bien l'ouvrage d'une novice, et qu'elle devrait prendre pour sujet les amants infidèles. Il est bon qu'elle s'accoutume d'avance à cette idée, car son futur époux ne vaudra pas, à ce que je crois, mieux que les autres, et l'expérience prouve que les plus grandes princesses ont, pour la plupart, besoin de la plus grande patience envers leurs illustres époux. V. A. R. ne s'est pas trouvée dans ce cas; vous faites, madame, exception aux règles générales, et ces exceptions sont toutes à votre avantage; mais il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Athènes.b
a La princesse Wilhelmine, fille du Prince de Prusse défunt, née le 7 août 1751. Voyez t. VI, p. 246, et p. 250, §. 15.
b Frédéric veut dire d'aller à Corinthe, expression qu'il a employée t. XX, p. 320, et t. XXI, p. 205.