<115>fiance comment je lui conseillais de se conduire, si pendant son séjour il venait à tomber grièvement malade. Ma réponse fut celle que tout homme sage lui aurait faite à ma place, qu'il ferait bien de se conduire en cette circonstance comme tous les philosophes qui lavaient précédé, entre autres, comme Fontenelle et Montesquieu, qui avaient suivi l'usage,

Et reçu ce que vous savez
Avec beaucoup de révérence.a

Il approuva beaucoup ma réponse : « Je pense de même, me dit-il, car il ne faut pas être jeté à la voirie, comme j'y ai vu jeter la pauvre Le Couvreur. »b Il avait, je ne sais pourquoi, beaucoup d'aversion pour cette manière d'être enterré. Je n'eus garde de combattre cette aversion, désirant que, en cas de malheur, tout se passât sans trouble et sans scandale. En conséquence, se trouvant plus mal qu'à l'ordinaire un des jours de sa maladie, il prit bravement son parti de faire ce dont nous étions convenus, et dans une visite que je lui fis le matin, comme il me parlait avec assez d'action, et que je le priais de se taire pour ne pas fatiguer sa poitrine : « Il faut bien que je parle bon gré, mal gré, me dit-il en riant; est-ce que vous ne vous souvenez pas qu'il faut que je me confesse? Voilà le moment de faire, comme disait Henri IV, le saut périlleux; aussi je viens d'envoyer chercher l'abbé Gaultier, et je l'attends. » Cet abbé Gaultier, Sire, est un pauvre diable de prêtre, qui, de lui-même et par bonté d'âme, était venu se présenter à M. de Voltaire quelques jours avant sa maladie, et lui avait offert, en cas de besoin, ses services ecclésiastiques; que M. de Voltaire avait acceptés, parce que cet homme lui parut plus modéré et plus raisonnable que trois ou quatre autres capelans qui, sans mission comme l'abbé Gaultier, et sans connaître plus que lui M. de Voltaire, étaient venus chez lui le prêcher en fanatiques, lui annon-


a Voyez t. XXI, p. 208.

b L. c, p. 167, 193 et 205.