<125>J'oubliais encore, Sire, de dire à V. M. qu'un curé de Paris, dont on ne m'a pas appris le nom, interrogé par quelqu'un sur la manière dont il se serait conduit, si M. de Voltaire était mort sur sa paroisse, avait répondu : « Je l'aurais fait enterrer solennellement, et je lui aurais fait faire une épitaphe, au bas de laquelle j'aurais mis sa profession de foi. » Voilà en effet, Sire, ce qu'aurait fait un homme d'esprit, comme ce curé l'est sans doute. Cette épitaphe aurait été un trophée pour l'Église, et pour la postérité un monument de la rétractation, réelle ou apparente, des erreurs de M. de Voltaire. Il est inconcevable que le curé de Saint-Sulpice et l'archevêque n'aient pas pensé de la sorte, et n'aient pas vu tout l'avantage qu'ils pouvaient tirer de cette profession de foi, au lieu de s'avouer eux-mêmes vaincus et persiflés en la regardant comme dérisoire. Mais, Dieu merci, les ennemis de la raison sont aussi bêtes que fanatiques; ils seraient trop à craindre, s'ils joignaient l'esprit au crédit qu'on a la sottise de leur accorder. Ils ont pourtant eu l'esprit de persuader à la plupart des rois qu'ils sont le soutien de leur autorité, et ils ont profité avec adresse de la sottise de l'auteur du Système de la nature, qui a bêtement avancé cette absurdité. Si ce mauvais philosophe avait lu l'histoire ecclésiastique, il y aurait vu que les prêtres, bien loin d'être le soutien des rois, en ont été de tout temps les ennemis; qu'il n'a pas tenu à eux que la maison de Bourbon n'ait été privée du trône qui lui appartenait légitimement; et que s'ils disent aux rois que leur puissance vient de Dieu, ce n'est pas qu'ils veuillent se soumettre à cette puissance, c'est au contraire pour soumettre les rois à la leur, puisqu'ils prétendent représenter Dieu sur la terre.
Le 2 juillet 1778.
Second P. S. Je relis ma lettre, Sire, et je relis en même temps, pour la vingtième fois, la vôtre, que je relirai encore, et qui serait bien digne d'être placée dans l'épitaphe de Voltaire au lieu de sa pro-