<145> vous transporter plus vite et plus commodément. Si Voltaire vous a légué son cheval Pégase, cette voiture serait la plus commode de toutes. Aussi dirai-je à nos astronomes de braquer toutes leurs lunettes vers l'éther, pour m'avertir de votre venue. Toutefois je dois ajouter que si ce voyage se diffère trop, il se pourrait que vous ne me retrouvassiez plus; je suis vieux, cassé et affaibli; la mort n'a pas besoin de sa faux pour trancher la trame de mes jours, c'est un fil d'araignée qu'on peut détruire sans effort. Mais cela ne m'embarrasse pas; un peu plus tôt, un peu plus tard, nous, la génération qui nous suit, et toute la postérité, et circulus circulorum, fera le même chemin que nos prédécesseurs nous ont enseigné en le frayant les premiers.
Quant à la politique des États, elle me paraît avoir quelque affinité avec la religion; l'une a ses schismes comme l'autre. Il y a des moments où les sectateurs d'Ali l'emportent sur ceux d'Omar; ce qui est le plus vrai prévaut à la longue; l'évidence des véritables intérêts des Etats l'emporte sur les illusions passagères. Ce qui caractérise la vérité a quelque chose de si simple et de si palpable, que, pourvu qu'on n'ait pas l'esprit naturellement ou louche, ou faux, il faut y adhérer; tout le monde est obligé de convenir que deux fois deux fait quatre, personne ne s'avise de disputer que les angles d'un triangle rectangle soient égaux à deux droits. Il en est de même de bien des choses dans la politique, qui peuvent se prouver avec une certitude approchante de celle des géomètres; il dépend alors du temps et des circonstances que telle idée frappe plus dans un moment que dans l'autre, surtout quand de certains préjugés n'offusquent plus les yeux de certaines personnes qui servent de cheville ouvrière à l'Europe. Voilà un beau galimatias politico-algébrique. Vous sentirez par là que je commence à radoter. Venez donc vite, ou je ne serai plus au logis. Sur ce, etc.