<172> Virgile français doit être maintenant resplendissant de gloire; la haine théologique ne saurait l'empêcher de se promener dans les champs Élysées en compagnie de Socrate, d'Homère, de Virgile, de Lucrèce; appuyé d'un côté sur l'épaule de Bayle, de l'autre sur celle de Montaigne, et jetant un coup d'œil au loin, il verra les papes, les cardinaux, les persécuteurs, les fanatiques souffrir dans le Tartare les peines des Ixion, des Tantale, des Prométhée, et de tous les fameux criminels de l'antiquité. Si les clefs du purgatoire eussent été uniquement entre les mains de vos évêques français, toute espérance pour Voltaire aurait été perdue; mais par le moyen du passe-partout que nous ont fourni les messes pour le repos des âmes, la serrure s'est ouverte, et il en est sorti en dépit des Beaumont,a des Pompignan,b et de toute la séquelle.

Vous me faites plaisir de m'informer de l'édition nouvelle qu'on prépare des œuvres de Voltaire; il serait à souhaiter que les éditeurs élaguassent ces sorties trop fréquentes sur les Nonotte, les Patouillet, et d'autres insectes de la littérature, dont les noms ne méritent pas de se trouver placés à côté de tant de morceaux inimitables qui, dignes de la postérité, dureront autant et plus peut-être que la monarchie française. Les écrits de Virgile, d'Horace et de Cicéron ont vu détruire le Capitole, Rome même; ils subsistent, on les traduit dans toutes les langues, et ils resteront tant qu'il y aura dans le inonde des hommes qui pensent, qui lisent et qui aiment à s'instruire. Les ouvrages de Voltaire auront la même destinée; je lui fais tous les matins ma prière, je lui dis : Divin Voltaire, ora pro nobis! Que Calliope, que Melpomène, qu'Uranie m'éclairent et m'inspirent! Mon saint vaut bien votre saint Denis; mon saint, au lieu de troubler


a Voyez ci-dessus, p. 130.

b Voyez t. XV, p. 37, et t. XXIII, p. 34.