<185> d'avilir et de décourager ce qu'il y a de plus éclairé et de plus estimable dans la nation. Je ne parle point de ce malheur pour mon propre intérêt; je suis plutôt spectateur que patient dans cette galère, où je me tiens les bras croisés, bien résolu de ne plus rien imprimer, si j'imprime jamais, que dans un pays où la vérité puisse s'exprimer librement, sans offenser ni le Roi, ni l'administration, ni les mœurs, ni l'honneur de personne. Mais je vois tant de gens de lettres souffrir de cette persécution et de cette inquisition abominable, que je ne puis m'empêcher de les plaindre, quoique je ne partage pas leurs peines, à peu près comme un vieil amant prend toujours intérêt au sort d'une ancienne maîtresse qu'il a tendrement aimée. Heureux, Sire, les hommes qui peuvent comme vous commander à l'opinion, mépriser en sûreté les fripons et les sots, instruire leurs semblables sans avoir le fanatisme à craindre, et les obliger, même quand ils ne le voudraient pas, à être tolérants, modérés et raisonnables! Puissiez-vous, Sire, donner longtemps aux hommes de pareilles leçons, de pareilles lois et de pareils exemples!
Je suis avec la plus profonde et la plus tendre vénération, etc.
226. A D'ALEMBERT.
Le 20 novembre 1780.
Bien des hommes ont gagné des batailles et ont conquis des provinces, mais peu d'hommes ont écrit un ouvrage aussi parfait que l'Avant-propos de l'Encyclopédie;a et comme c'est une chose rare que d'apprécier toutes les connaissances humaines, et que c'est une chose
a Voyez t. XXIII, p. 94, et t. XXIV, p. 406.