227. DE D'ALEMBERT.
Paris, 15 décembre 1780, anniversaire de la bataille
de Kesselsdorf.
Sire,
Chaque lettre dont Votre Majesté m'honore réveille en moi les sentiments de reconnaissance, de vénération et de tendresse dont je suis depuis si longtemps pénétré pour elle; mais quelque profonds, Sire, que ces sentiments soient en moi, ce ne sont pas ceux dont je suis en ce moment le plus occupé. Un sentiment qui m'est plus cher encore, s'il est possible, parce qu'il est plus personnel à V. M., pénètre et remplit mon âme depuis la nouvelle que nous venons de recevoir de la mort de l'Impératrice-Reine.a Cette nouvelle, Sire, si intéressante dans tous les temps par les événements qui peuvent la suivre, me paraît, dans les circonstances actuelles, bien plus intéressante encore. On sait, on croit du moins que cette princesse aimait la paix, au moins sur la fin de ses jours, et que c'est à ce sentiment paisible, appuyé par les armes de V. M., que l'Europe a dû la paix de Teschen. On craint que ce sentiment, si louable et si désirable dans un prince, ne soit pas aujourd'hui celui de la cour de Vienne, et que l'Europe ne soit bientôt replongée dans une nouvelle guerre. Si ce malheur arrivait, il serait impossible que V. M. ne reprît pas les armes, et je crains que de nouvelles fatigues et de nouveaux travaux ne nuisent à sa précieuse conservation. Je ne suis point, Sire, inquiet pour votre gloire; mais je le suis infiniment pour votre repos et pour votre santé. Vous n'avez plus besoin de renommée; et que pourrait-elle ajouter à ce qu'elle dit de vous depuis quarante années? Mais vous avez besoin de mener une vie douce et tranquille, et de jouir encore longtemps de l'amour de vos peuples, de l'admiration de l'Europe, et de l'hommage de tous ceux qui pensent. L'humble et obscure philo-
a Marie-Thérèse mourut le 29 novembre 1780.