<198> que Paris, où nous nous chauffons encore. Plus je suis profondément touché de l'état de V. M., plus je suis tendrement reconnaissant de la bonté avec laquelle elle veut bien me parler à ce sujet, en m'assurant que cette maudite goutte ne me privera pas de ses lettres. Elles me sont, Sire, plus nécessaires que jamais; elles font toute ma consolation, et raniment l'insipidité de ma vie, devenue presque nulle par l'état de ma santé, qui m'interdit presque absolument tout travail, si je veux conserver le peu qui m'en reste.
Mais j'aime bien mieux parler à V. M. d'elle que de moi; et après lui avoir fait mon compliment dans ma dernière lettre sur l'éloge si éloquent et si court qu'elle m'a écrit de l'Impératrice-Reine, je prendrai la liberté de la féliciter dans cette lettre sur un autre objet, sur l'excellente réponse qu'elle vient de faire à la requête des ministres luthériens de Berlin, au sujet des innovations du catéchisme et des cantiques.a Si, d'un côté, l'importance que ces prêtres mettaient à l'objet de leur requête est amusante par le ridicule, la réponse de V. M. est dictée par la sagesse même, armée de la plus fine et de la meilleure plaisanterie. « Mon intention est que chacun de mes sujets puisse s'arranger dans son culte comme il jugera à propos, et que tous, sans exception, soient les maîtres de chanter et de croire ce qu'ils voudront, et comme ils voudront. » Ah! Sire, que Voltaire aurait ri, s'il avait lu cette charmante réponse! quel usage excellent il en aurait fait dans le premier pamphlet qu'il eût imprimé, soit en vers, soit en prose! que ces expressions, s'arranger dans son culte, chanter et croire ce qu'ils voudront, sont heureuses et de bon goût! qu'elles sont dignes de servir de modèles aux souverains, que les théologiens veulent mêler dans leurs querelles, et qui, pour l'ordinaire, s'y mêlent avec une facilité si avilissante pour eux et si funeste à leurs peuples! J'ose assurer V. M. que ces mots si précieux à la raison ont
a D'Alembert parle de l'ordre de Cabinet, du 18 janvier 1781, que l'on trouve dans l'ouvrage de J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. III, p. 226 et 227.